Une usine en Gironde, mais pourquoi ?

Le Naviplane N300 « Baie des Anges » effectue des vols de présentation fin octobre et début novembre 1970 sur la Gironde au départ du Pont d’Aquitaine où une halte a été installée sur la rive gauche de la Garonne.
Jacques Chaban-Delmas, alors Premier Ministre et Maire de Bordeaux, est à bord le samedi 31 octobre.
A la descente de l’appareil, il déclare :

Nous sommes en présence d’une révolution technique qui marque un grand pas vers le progrès. Naturellement, la région Aquitaine doit s’intéresser aux possibilités offertes par le Naviplane. Le conseil général de la Gironde fera procéder à des études poussées concernant la rentabilité de l’utilisation de ce type d’engins. M. Abel Thomas, président de la société constructrice, m’a dit son intention d’implanter en Gironde une grande usine de montage d’aéroglisseurs marins. Ce projet, nous aiderons à ce qu’il devienne réalité. Il donnerait un nouveau coup de fouet à l’industrie girondine.

Par ailleurs, Abel Thomas, Directeur de la SEDAM, confirme :

A condition que le succès d’estime de nos appareils ait les prolongements commerciaux que nous attendons, j’ai l’intention de créer à Bordeaux l’usine de montage que vous évoquez. J’ajoute que les appareils construits seraient des N500, c’est-à-dire les plus importants de nos appareils (200 passagers, 40 voitures).
L’usine de Bordeaux satisferait aux besoins en Naviplanes de nos clients de la façade atlantique, tandis qu’une autre usine d’importance équivalente, implantée à Toulon, desservirait la côte méditerranéenne. Notre problème est de trouver une main d’œuvre abondante et qualifiée. Bordeaux répond à ces exigences.
L’usine projetée emploierait 300 ouvriers et procurerait du travail à la sous-traitance dans l’agglomération bordelaise.

Parce que le problème de la SEDAM fin 1970 est bien là : un succès d’estime, mais pas vraiment de perspectives commerciales pour les Naviplanes, en particulier pour le Naviplane N500 qui n’existe alors qu’à l’état d’esquisse sur une planche à dessin.

Mais Abel Thomas a su être convaincant, et la SEDAM a multiplié les annonces alléchantes.
En décembre 1970 par exemple, Abel Thomas promet « la mise en chantier de 10 aéroglisseurs qui seront prêts en 1972 ».

Le 26 janvier 1971, le Conseil Général de Gironde annonce d’une part l’achat d’un Naviplane N300 pour assurer la liaison entre Blaye et Lamarque en support du bac déjà en service, et d’autre part la commande d’un Naviplane N500. Il assurera la liaison entre Royan et le Verdon à l’embouchure de la Gironde, et surtout sa commande accélérera la construction d’une usine d’assemblage de Naviplanes à Pauillac.

Le Naviplane N300 « Baie des Anges » est modifié à Berre (il passe de 90 passagers à 38 passagers et 4 voitures) et commence son exploitation commerciale sur la Gironde le 1er juillet 1971.

Pour le N500 et la construction de l’usine, l’affaire est plus compliquée en revanche.
La seule commande d’un N500 n’est pas suffisante pour justifier le lancement industriel du projet. Les investisseurs sont frileux et réticents à s’engager.
Plus grave, on découvre fin 1971 qu’Abel Thomas a dilapidé les crédits de recherche de la SEDAM en frais de représentation. Il est écarté de la direction de la société, et c’est Jean Bertin lui-même qui en reprend le contrôle, la restructure, relance le projet et convainc finalement l’Etat de ne pas abandonner l’affaire.

« Encouragés » par l’Etat, les investisseurs se présentent enfin. La Compagnie Générale Transatlantique prend en novembre 1972 une option sur deux N500 pour une liaison entre le continent et la Corse, tandis que la SNCF commande un N500 pour intégrer sa filiale SeaSpeed sur la Manche.
Le projet N500 est enfin lancé et par là-même la construction de l’usine d’assemblage de Pauillac.

Abel Thomas : Cet atelier sera très léger. Il assemblera les pièces construites par des sous-traitants, en provenance, notamment, des chantiers navals civils ou militaires et des industries d’équipement de la région Aquitaine.

Les conditions d’implantation de cette usine font pourtant débat au sein du Conseil Général de Gironde.
En effet, beaucoup sont déçus qu’il ne s’agisse que d’un atelier d’assemblage employant 120 personnes, tandis qu’en 1970, c’était une usine de construction qui avait été annoncée, et 300 emplois à la clef. Les retombées économiques ne sont évidemment plus les mêmes dans ces conditions.
Si la SEDAM ne réclame pas d’argent pour installer son atelier en Gironde, elle demande néanmoins que le département se porte garant d’un emprunt de 7 millions de francs qu’elle doit contracter pour construire son usine.
Les difficultés rencontrées par la société depuis 1970 ne plaident pas en sa faveur…
Après de nombreux débats, la garantie est finalement obtenue le 19 avril 1974. S’en suit la constitution des dossiers d’appels d’offres qui sont remis au début du mois de novembre 1974.
Les travaux peuvent commencer sur un terrain acquis au Port Autonome en bordure de Gironde au nord de Pauillac début 1975.

Le terrassement et la maçonnerie sont réalisés par l’entreprise Fayat de Libourne. L’usine elle-même est construite à partir de mai 1975 par la société Larivière de Toulouse.

C’est Jacques Jean, ancien de Mudry Aviation à Beyne qui est chargé de coordonner les travaux pour la SEDAM.

L’usine proprement dite a une superficie couverte de 6000 m² et une hauteur de 22 m.
Elle est prévue pour la construction simultanée de deux Naviplanes N500 et s’ouvre vers le Sud par deux immenses portes coulissantes donnant accès à une vaste aire de maintenance et d’évolutions.

Des rails permettent de rouler les structures des Naviplanes à l’intérieur de l’usine et à l’extérieur, des vérins sont installés dans le sol entre ces rails pour lever les appareils lors des opérations de maintenance des jupes.

A l’intérieur de l’usine, côté Nord, on trouve de larges magasins et les bureaux de l’atelier.

A l’extérieur, côté boulevard Halimbourg, se trouvent les locaux administratifs et de Direction. A l’opposé, côté Est, deux petits bâtiments hébergent le Bureau d’Etudes.

Un large portail clôture le terrain sur le boulevard Halimbourg et donne accès au slipway qui descend vers la Gironde.

Les travaux de construction sont terminés fin 1975, et la SEDAM déménage de Berre à Pauillac à la fin du mois de décembre.
Dès le début 1976, les premiers éléments du Naviplane N500 arrivent à l’usine.